Entre mai et septembre, la température de la mer encore fraîche combinée à un air déjà estival engendre de fréquentes nappes de brouillard littoral, Atlantique comme Manche. En Méditerranée, la brume sèche ou « calima » réduit parfois la visibilité à moins d’un mille. Pour un voilier, la perte de repères visuels multiplie les risques : collision, échouement, confusion de route. Heureusement, prévoir ces situations et s’y adapter relève davantage de la méthode que du hasard. Ce guide détaille :
- Les mécanismes météo à l’origine du brouillard
- Les outils pour détecter et prévoir la visibilité réduite
- La préparation du voilier et de l’équipage avant l’embarquement
- Les bonnes pratiques de navigation quand la visibilité chute
- Les procédures réglementaires : signaux, veille, bulletins BMS / AVURNAV / NAVAREA II.
ORIGINE ET TYPES DE BROUILLARD MARIN
Brouillard d’advection • Air chaud et humide glisse sur une mer froide ; l’air se refroidit jusqu’au point de rosée. • Typique : printemps Atlantique, Manche ou au-delà du front froid automnal.
Brouillard de rayonnement (brume côtière) • Nocturne, par ciel dégagé et vent faible ; fréquent dans les estuaires et les mouillages.
Brume sèche saharienne (calima) • Sirocco ou vent d’Est chargé de poussières ; visibilité dégradée malgré ciel clair (Méditerranée occidentale).
Brouillard frontal • Sous un front chaud actif ; souvent associé à bruine persistante.
ANTICIPER LA VISIBILITÉ : OUTILS & INDICATEURS
Cartes et modèles • Modèles haute résolution AROME 1,3 km : couche « Visibilité » (< 1000 m, < 500 m) • ECMWF / ICON : pointage du « cloud base » et dew point spread < 2 °C. • Radar pluie : brouillard rarement présent sous fortes précipitations.
Données in situ • Bouées météo côtières : hygrométrie > 95 % + air – eau < 2 °C = forte probabilité. • Webcams portuaires : excellent complément visuel avant de larguer les amarres.
Bulletins officiels
• BMS (Bulletin Météo Spécial) : mention « Visi < 1 M ».
• AVURNAV / AVINAV : zones de dragues, filets ou balisage temporaire masqués par la brume.
• NAVAREA II : avis longue distance (grands bancs de brume au large).
PRÉPARATION DU VOILIER ET DE L’ÉQUIPAGE
Check-list pré-départ
☑ Essais radar et AIS : cible test / transpondeur voisin.
☑ Mise à jour cartes électroniques & trace de route sur deux supports.
☑ Feux de navigation et feu de mât : ampoules LED vérifiées.
☑ Corne de brume ou pavillon N : accessible au cockpit.
☑ Divers : vêtements haute visibilité, lampes frontales, jumelles stabilisées.
Formation rapide de l’équipage
• Explication des signaux sonores Règlement COLREG (voir §4.2).
• Répartition des rôles : barreur, veille visuelle à l’avant, veille auditive, contrôle radar/AIS.
• Briefing « homme à la mer faible visibilité » : ligne de vie obligatoire, harnais en poste.
NAVIGUER DANS LE BROUILLARD
Réglages voile & moteur
• Vitesse modérée (SOG ≈ 60 % Vmax sûre) pour laisser le temps de manœuvrer.
• Rester toilé (un ris si > 12 kt) pour garder appui barre, mais éviter le surtoilage qui réduit capacité d’arrêt.
• Moteur au ralenti disponible : permet d’immobiliser le bateau à 0 kt en < 15 s si risque collision.
Règles COLREG – signaux sonores
• Voilier faisant route à la voile : un son prolongé + deux brefs toutes les 2 min.
• Voilier au moteur : un son prolongé toutes les 2 min.
• En panne de manœuvre : deux sons prolongés + un bref.
• (Astuce) Programmer un minuteur 120 s sur montre de pont pour rappel automatique.
Veille renforcée
• Radar : échelle 1,5 NM ; alarme CPA (Closest Point of Approach) < 0,5 NM.
• AIS : filtre collisions vitesse > 2 kt, CPA < 1 NM.
• Visuelle & auditive : écoute du ressac côtes, dragueurs, ferries à grande vitesse.
Relèvement et navigation côtière
• Relèvements compas + corrections déviation/déclinaison : croiser 2 amers proches si visibles.
• Sondeur : surveillance constante des fonds, afficher courbe sur traceur.
• Mouillage d’attente : privilégier fonds de baies dégagés, bruit d’ancre facilement détectable par autres navires.
Gestion de la fatigue
• Quarts de 30-40 min maxi à la barre dans brouillard dense.
• Boissons chaudes, nutrition légère (gingembre, banane) contre mal de mer sensoriel.
APRÈS LA DISSIPATION DE LA BRUME
• Augmenter progressivement la toile pour reprendre vitesse.
• Faire un contrôle visuel gréement : condensation + sel favorisent corrosion contacts électriques.
• Vérifier niveau de carburant du moteur si longue veille ralenti.
• Consigner heure et durée de visibilité réduite dans le livre de bord pour retour d’expérience.
FAQ RAPIDE
Q : Le brouillard tombe-t-il plus souvent au lever ou au coucher du soleil ?
R : Cela dépend du type ; le brouillard de rayonnement se forme surtout à l’aube, tandis que l’advection peut survenir à tout moment, notamment en début d’après-midi lorsque la brise thermique se lève.
Q : AIS suffit-il pour éviter les collisions ?
R : Non ; nombre de navires de pêche, plaisanciers ou engins de servitude n’en possèdent pas. Radar + écoute restent indispensables.
Q : Comment estimer la visibilité en pratique ?
R : Identifiez un objet (côte, bouée, bateau) connu ; s’il disparaît à 3 fois sa longueur, la visibilité est ≈ 0,5 M. Au-delà de 6 longueurs, ≈ 1 M.
La perte de visibilité n’est pas une fatalité ; bien préparé, un équipage tire même avantage du calme apparent qui l’accompagne. Surveillez les modèles de visibilité, restez attentif aux BMS et avis de navigation (AVURNAV, NAVAREA II), formez vos équipiers et appliquez rigoureusement les bonnes pratiques : votre prochain mille dans la brume se fera en toute sérénité.